La Passe imaginaire à la Comédie St Michel
“La Passe imaginaire”, tel est le titre de l’ouvrage rassemblant les écrits de Grisélidis Réal, compilation d’une correspondance – des lettres très intimes – que cette femme écrivaine, peintre et prostituée suisse a entretenue de 1980 à 1991 avec l’écrivain, journaliste et animateur radio français, Jean-Luc Hennig.
Etcha Dvornik, comédienne danseuse et chorégraphe, a mis en scène ce texte et l’interprète de façon magistrale dans le minuscule théâtre du Boulevard St Michel.
Un spectacle très visuel qui est avant tout une danse, coupée, morcelée, hachée, macabre?
L’actrice est sans cesse en mouvement dans la lenteur et la langueur, en une chorégraphie précise, délicate et maîtrisée. Ses mouvements dégagent une sensualité qui vire au morbide.
Ils deviennent désordonnés, frénétiques, traduisant la folie vers laquelle avance cette femme. Des regards hallucinés, des cris, l’entrée dans la folie, puis des moments de douceur, de tendresse.
Etcha incarne avec justesse et puissance ce beau texte, lyrique et cru à la fois, qui porte un autre regard sur les femmes et le travail du sexe.
On est intrigué, gêné, dérangé, ému profondément face à la danseuse comédienne chorégraphe qui s’expose à nous sans fards, avec pudeur et poésie cependant.
Une belle performance audacieuse sur un thème puissant et éternel, difficile à aborder, celui de la prostitution, de la misère sexuelle masculine et au-delà, de l’amour, de la passion, du corps.
Etcha, P. irrespectueuse, nous entraîne dans son monde avec sa voix, parfois juste murmure, souffle, à d’autres moments, hurlements déchirants, rires démoniaques qui n’en finissent pas. Elle nous enveloppe de son corps meurtri qui ondule sensuellement, liane, serpent, de ce corps vendu pour des corps à corps incessants avec des hommes.
Elle danse, elle danse, elle rit, elle rit … “Le bonheur de la désespérance” ?
A propos du film Satyricon, un critique a écrit : “Terrible et sublime à la fois, Fellini transcende la laideur en beauté”. Etcha et Grisélidis s’inscrivent dans la même démarche.
“La Passe imaginaire” de Grisélidis Réal, mise en scène et jouée par Etcha Dvornik.
Comédie St Michel, 95, brd St Michel, tous les jeudis à 21h30, jusqu’au 2 janvier 2020.