Coronavirus: Edouard Philippe, «J’ai la conviction que notre pays peut faire face à cette crise»
Jeudi soir, le Premier ministre était l’invité de TF1 pour aborder les principales questions que pose l’évolution de la pandémie de coronavirus et les mesures de confinement appliquées depuis le 17 mars.
Tout d’abord, avant de parler de l’intervention du Premier ministre, Édouard Philippe, nous ferons un raid mondial sur l’évolution de coronavirus en Europe et aux États-Unis au cours des dernières 24 heures, mais aussi des statistiques à jour.
La pandémie de nouveau coronavirus continuait de changer jeudi la face du monde, qui compte désormais plus d’un million d’infections, 51 000 vies fauchées dont la majorité en Europe, et des conséquences sociales qui s’annoncent dramatiques.
Un million de cas officiellement déclarés de nouveau coronavirus dans le monde a été franchi jeudi vers 15 h, selon un comptage réalisé par l’AFP à partir de sources officielles.
Au moins 1 000 036 cas d’infection, parmi lesquels 51 718 décès, ont été détectés dans 188 pays et territoires, notamment aux États-Unis (234 462 cas, dont 5607 morts), où la pandémie progresse actuellement le plus rapidement, en Italie (115 242 cas), pays le plus durement touché en nombre de décès avec 13 915 morts, en Espagne (110 238 cas, dont 10 003 morts) et en Chine (81 589 cas, dont 3318 morts), berceau de la pandémie.
Le nombre de cas diagnostiqués ne reflète toutefois qu’une fraction du nombre réel de contaminations, un grand nombre de pays ne testant que les cas graves.
Si 500 000 cas ont été recensés en Europe, le continent le plus touché, les États-Unis sont en passe de devenir le nouvel épicentre, avec 215 000 cas décomptés. Faute de capacités suffisantes de dépistage, ces bilans sont très probablement bien en dessous de la réalité.
Objet d’une course effrénée entre les entreprises de biotechnologie, les tests de sérologie, qui permettront de dire notamment si quelqu’un peut retourner travailler, « sont en train d’être développés » et « ne sont pas encore évalués », a expliqué l’Organisation mondiale de la santé.
En France, le bilan a fait un nouveau bond jeudi avec 471 nouveaux décès à l’hôpital qui portent le total à 4503 morts, mais auxquels il faut désormais ajouter au moins 884 personnes âgées décédées en maison de retraite.
L’ampleur du drame dans ces quatre pays qui ont, chacun, dépassé le bilan officiel de décès communiqués pour la Chine continentale (3318) où l’épidémie s’était déclarée, suscitent a posteriori des soupçons sur l’authenticité des chiffres chinois.
Mais c’est l’Espagne qui a de nouveau déploré jeudi les pertes les plus lourdes avec 950 décès en 24 heures, un nouveau record dans le pays, qui a aussi enregistré en mars plus de 300 000 nouveaux demandeurs d’emploi.
En France, le bilan officiel s’est alourdi à 4503 morts (à l’hôpital), auxquels il faut désormais ajouter au moins 884 personnes âgées décédées en maison de retraite. Au total, ce sont donc au moins 5387 personnes qui sont décédées.
Plus de 3,9 milliards de personnes, soit la moitié de la population mondiale, sont désormais appelées ou contraintes à rester confinées chez elles pour lutter contre la propagation de la COVID-19, selon un comptage réalisé jeudi à partir d’une base de données de l’AFP.
Ce seuil de 50 % de l’humanité (7,8 milliards, selon l’ONU) a été atteint après l’instauration d’un couvre-feu en Thaïlande (à partir de vendredi).
En Afrique, le Togo a instauré l’état d’urgence sanitaire pour trois mois et l’Érythrée un confinement de 21 jours.
En Russie, le président Vladimir Poutine a prolongé jusqu’à la fin du mois le principe de jours chômés imposé depuis une semaine, laissant aux autorités régionales la responsabilité de fixer les termes du confinement. La ville de Moscou, principal foyer dans le pays, a prolongé le confinement pour un mois.
Entrant dans les détails et répondant aux différentes polémiques suscitées par cette crise sanitaire de grande ampleur, il a également admis une certaine faillibilité : «Il peut m’arriver de me tromper, ce qui n’est jamais simple», a-t-il reconnu à la fin de sa très longue intervention, ponctuée par des questions du journaliste Gilles Bouleau et de Français sélectionnés par la chaîne.
Après l’Est, l’épidémie déferle désormais sur l’Île-de-France, où plus de 9600 personnes sont hospitalisées. “Nous sommes au bout de nos capacités d’hospitalisation”, prévient Aurélien Rousseau, directeur de l’Agence régionale de santé. Il évoque un “risque réel” de pénurie de certains produits, morphine ou antibiotiques, avec une “tension globale” sur le curare – nécessaire pour immobiliser les patients intubés.
Édouard Philippe a assuré que la France avait “de quoi tenir durablement” en termes de stocks de médicaments, mais reconnu qu’il fallait assurer une gestion “de très court terme” sur certains produits. D’autant que la compétition pour se procurer médicaments et équipements de protection est aussi mondiale que l’épidémie, comme s’en sont ému des présidents de régions, évoquant des commandes de masques rachetées par des Américains “sur le tarmac” d’aéroports chinois d’où ils devaient être expédiés vers la France.
Le premier ministre est d’abord interrogé sur la situation dans les Ehpad, où 884 décès sont à déplorer depuis le début de la pandémie en France. “Les personnes dans les Ehpad sont parmi les plus fragiles de nos concitoyens. Il y a 750.000 Français qui vivent en Ehpad. Notre préoccupation majeure est d’essayer de les protéger”, a-t-il indiqué.
Parmi les mesures mises en place, le premier ministre a évoqué la mise en place du plan bleu, l’interdiction des visites ou encore l’utilisation d’un certain nombre de tests. Il a ce soir appelé “à une mobilisation des soignants pour que dès qu’un cas est identifié, nous puissions projeter des moyens médicaux dans les Ehpad si nécessaire”.
Il a enfin salué le “dévouement des personnels des Ehpad” depuis le début de la crise.
Le chef du gouvernement a poursuivi en affirmant que le virus n’est «pas en vacances». «Le confinement, ce n’est pas se déplacer en France. Si nos concitoyens font cela, ils propageront le virus. J’appelle tous nos concitoyens à respecter les règles de confinement», a-t-il déclaré. Et de marteler : «Il ne doit pas y avoir de départ en vacances dans les jours qui viennent». «La pire des choses serait que cette discipline se fragilise, s’étiole. Il faut que chacun assume que rester chez eux, respecter les règles, c’est aider les soignants et nous permettre de passer ce cap délicat».
Edouard Philippe a assuré que le «nombre de morts découle de la progression de l’épidémie avant le confinement». «L’indicateur que nous regardons avec le plus d’attention, c’est le nombre d’entrées en service de réanimation. Je salue l’extraordinaire mobilisation de l’ensemble du système, l’organisation des hôpitaux dans son ensemble», a ajouté le premier ministre.
Il salue la mobilisation de l’hôpital et la stratégie de transferts de patients d’une région à l’autre: «L’hôpital est soumis à une importante pression. Il tient encore par un engagement humain exceptionnel, avec de grandes difficultés. Il tient parce que nous nous battons et parce que nous ne relâchons pas l’effort du confinement. Les Français doivent continuer à respecter le confinement».
Le premier ministre est également confiant dans les capacités des hôpitaux français: «Nous sommes dans un combat long, dur, mais la digue tient et nous devons tous ensemble faire en sorte qu’elle continue à tenir.Notre système hospitalier tient, il faut être collectivement à la hauteur de la tâche. Il faut respecter les consignes».
Interrogé sur une possible pénurie de médicaments, comme les curares ou l’oxygène, dans les services de réanimation, le premier ministre a affirmé qu’il s’agissait “d’une des questions les plus sensibles que nous devons affronter actuellement”. “Partout dans le monde se passe ce qu’il est en train de se passer en France. C’est-à-dire une augmentation du nombre de patients admis en réanimation. Et donc une utilisation de médicaments qui explose dans des proportions jamais imaginées. Pour certains médicament, nous faisons face à une augmentation de 2000%, imaginez !”, a-t-il poursuivi.
Le chef du gouvernement a indiqué que, pour un certain nombre de molécules indispensables aux soins de réanimation, les stocks étaient “soit suffisants dans les hôpitaux, qui en possèdent en grande quantité, soit chez les industriels”. En revanche, l’inquiétude demeure pour d’autres molécules dont les stocks sont plus “limités”. “Ma priorité est de faire en sorte de répondre à la demande”, a-t-il affirmé, indiquant avoir contacté ces derniers jours plusieurs industriels.
Interrogé sur les conséquences qu’on pourra tirer de cette crise dans les prochains mois, le premier ministre a affirmé qu’il faudra “donner les moyens à l’hôpital de se réorganiser dans la durée après l’épidémie”. “Nous allons devoir tirer les conséquences de cette épidémie en ayant bien conscience qu’aucun système sanitaire n’a été conçu pour faire face à une épidémie de cette importance”, a-t-il toutefois indiqué.
Le premier ministre aborde désormais la question du déconfinement. Ce dernier n’est «pas pour demain matin», a-t-il assuré. «C’est la logique du confinement qui doit prévaloir au moins jusqu’au 15 avril et peut-être plus longtemps, probablement plus longtemps».
Quelle stratégie le gouvernement va-t-il adopter pour déconfiner ? «Nous sommes en train de réfléchir», a répondu le chef du gouvernement, évoquant plusieurs inconnues : «Existera-t-il un traitement reconnu qui peut être prescrit et limiter l’impact de la maladie? Comment allons-nous sortir de cette phase s’agissant de la circulation du virus dans la population française? Si dans le Grand Est, le virus a beaucoup circulé et beaucoup d’habitants ont développé des formes asymptomatiques. Si c’est une grande partie de la proportion, ce n’est pas la même chose que si c’est une toute petite partie», a-t-il listé.
Et de poursuivre : «Nous allons utilsier massivement des tests sérologiques qui n’existent aujourd’hui pas en nombre. Nous en développons. Ils servent à savoir si on a développé des anticorps. Il faudra être capable de développer des tests massifs pour savoir qui a été touché par la maladie. Nous réfléchissons à plusieurs scenarii possibles. Une équipe travaille au sein du ministère de la Santé, avec Jean Castex, de coordonner ces équipes pour les présenter au public et les discuter. La question est essentielle sur un plan national. Comment décidons-nous de vivre en déconfinement avec une maladie qui n’aura pas totalement disparu ?»
Une seule certitude : «Ce déconfinement ne pourra intervenir que de façon progressive. Pour éviter qu’ensuite, deux semaines, trois semaines, un mois, on soit touché par une deuxième vague qui nous obligera à procéder à des confinements. C’est délicat. Nous allons trouver les bonnes méthodes et solutions, et nous coordonner avec les autres pays».
Le premier ministre a botté en touche: «Je ne sais pas répondre à votre question et je ne préfère pas donner de faux espoirs et de fausses indications».
Concernant la possibilité de trier la population, et de déconfiner les jeunes en premier, le premier ministre a confirmé que l’hypothèse avait été évoquée en pensant que ce pourrait être une manière «de déconfiner progressivement» mais que cela posait des questions «pratiques, sanitaires et éthiques».
Interrogée sur la même question, le Pr Karine Lacombe a indiqué d’abord attendre de savoir combien de personnes étaient immunisées: «ces personnes vont représenter une barrière à la progression du virus. En fonction du pourcentage de la population générale qui a été immunisée, on appliquera pas les mêmes barrières».
Désormais le gouvernement étudie « plusieurs options pour le bac 2 020 ». En « contrôle continu » ou « avec l’organisation d’une épreuve ». Le Premier ministre l’assume, la forme finale de l’examen sera décidée en fonction des conditions dans lesquelles la France « va organiser le déconfinement ».
Le premier ministre est ensuite revenu sur l’organisation du Baccalauréat 2020, qui devait avoir lieu en juin. Il a indiqué qu’il est “désormais totalement acquis” que les épreuves du Bac “ne pourront pas se dérouler au mois de juin, ni au mois de juillet comme cela avait été évoqué”. La “machinerie annuelle” que représente ce diplôme ne pourra pas être mise en oeuvre dans de bonnes conditions, et, au-delà, l’interruption des classes “va avoir un impact sur la capacité de chacun à respecter la totalité du programme”, a-t-il indiqué.
Le premier ministre a indiqué qu’il penchait pour une notation “sous le format du contrôle continu total des deux premiers trimestres”, mais il est également possible qu’une épreuve organisée fin juin complète ce contrôle continu. Jean-Michel Blanquer devrait préciser “très bientôt” ces modalités.
Le Premier ministre a promis «d’accélérer l’ouverture d’un plateau ultra moderne à l’hôpital Henri-Mondor», dans le «courant du mois d’avril» pour pouvoir accueillir en réanimation «86 patients supplémentaires»à partir de mi-avril.
Face aux très fortes critiques de l’action du gouvernement en la matière, Edouard Philippe a défendu les mesures prises. «On nous a beaucoup reproché de dire que le port des masques en population générale n’était pas nécessaire», a-t-il reconnu, avant de se justifier : «J’écoute ce que disent les médecins. Le directeur exécutif des programmes d’urgence de l’OMS continue à dire que le port du masque en population générale n’est pas forcément une bonne idée. Je n’ose plus le dire moi-même parce que je sais que je suscite immédiatement des critiques et des doutes.» Il a par ailleurs promis que la production française de masques allait être renforcée. «Il y a quatre producteurs de masques chirurgicaux en France», a-t-il rappelé. «Nous serons à 10 millions par semaine dans les semaines qui viennent», a-t-il ajouté, saluant «une mobilisation industrielle tout à fait admirable». D’importantes commandes ont été passées en Chine, qui ne sont parfois pas honorées, «pour des raisons qui tiennent à la demande considérable». Le Premier ministre a rappelé que «la consommation de masques est bien supérieure à ce que nous imaginions, parce que le virus est très fortement contagieux». Pour la population générale, des masques en tissus «ont été testés sur un banc d’essai de la délégation générale pour l’armement», a dit Edouard Philippe, promettant une production à hauteur de 5 millions par semaine. Ces modèles, non destinés aux soignants, permettront «de reprendre l’activité le moment venu», a dit Edouard Philippe.
«La pire des choses, ce serait d’augmenter les impôts», a averti Edouard Philippe, tout en admettant que l’endettement allait exploser.
Le débat porte désormais sur l’impact économique de la crise du coronavirus. Interrogé sur une potentielle augmentation des impôts à l’avenir pour contrebalancer les dépenses exponentielles engendrées en ce moment, le premier ministre a assuré que ce n’était pas l’option à retenir.
“La crise sanitaire va devenir une crise économique parce que le coup de frein est si brutal et durable qu’il va falloir aider le pays à redémarrer. Nous devons nous organiser pour que le pays tienne, pour que les entreprises subsistent et pour qu’un plan de relance national, européen je l’espère, puisse permettre à l’ensemble de l’économie mondiale de repartir. Mais cela ne passera pas, je pense, par une augmentation des impôts”, a-t-il détaillé.
Pour surmonter la crise sanitaire, l’État va consentir des emprunts. L’argent n’est «n’est pas plus magique qu’il ne l’était il y a deux ans», a-t-il assuré. «L’économie s’est arrêtée avec des stocks. Quand on va démarrer, ce sont des stocks que l’on va consommer. L’État aura tout son rôle à jouer. Je veux que nous puissions penser cette relance avec nos partenaires. Il y aura beaucoup à réfléchir et décider», a-t-il ajouté.
Édouard Philippe a indiqué que ce n’était pas «à ce stade qu’il fallait se poser la question. Il faut traverser la crise, mais il est vrai qu’il faudra emprunter, que le moment venu il faudra faire face aux choix que nous faisons aujourd’hui.»
«L’urgence c’est de passer la crise sanitaire, ensuite ce sera de faire repartir la machine économique. Pour cela, il faut que les entreprises ne meurent pas». Le premier ministre a assuré que le système de chômage partiel mis en place était «le plus généreux d’Europe. C’est indispensable si nous voulons conserver le muscle nécessaire».
Sur la réforme des retraites, Philippe assure que «nous devons suspendre ce qui peut justifier des désaccords qui n’ont pas lieu d’être»
La réforme des retraites n’est pas arrêtée mais suspendue, a certifié Edouard Philippe. «Nous sommes dans une crise jamais connue. Dans cette crise jamais connue, nous ne sommes pas tous d’accord. Connaissant le peuple français, nous ne serons pas tous d’accord. Nous devons suspendre au maximum ce qui peut justifier des désaccords qui n’ont pas lieu d’être. L’appel à l’union nationale est un appel à essayer de mettre de côté ce qui peut nous séparer», a-t-il assuré. Le Premier ministre a assuré que les résultats issus du premier tour pour 30 143 communes qui ont déjà désigné leurs conseils municipaux seraient préservés. En revanche, il faudra «réorganiser deux tours des élections municipales pour les quelques 5000 communes restantes». «Si on fait le constat qu’il n’est pas possible d’organiser le deuxième tour en mai ou en juin, alors il faudra décaler les élections, peut-être en octobre, peut-être après», a-t-il indiqué.
«J’ai la conviction que notre pays peut faire face à cette crise»
«J’essaye d’être lucide sur les difficultés que nous avons à affronter, sur les quelques périls que nous avons encore à contourner ou dépasser», a déclaré le premier ministre.
«Plus qu’optimiste ou pessimiste, j’essaie d’être concentré. J’ai toujours au fond de moi, la volonté farouche d’avancer, de prendre des décisions difficiles sur le fondement d’informations parfois incomplètes ou contradictoires. Donc, il peut m’arriver de me tromper», a-t-il admis.
«J’ai la conviction que notre pays peut faire face à cette crise. Quand les Français sont confrontés à ce qu’il y a de plus dur, ils peuvent souvent se révéler courageux, solidaires, déterminés. Cela n’est pas fini, ça va continuer et c’est encore difficile mais nous pouvons y arriver», a conclu le premier ministre.