Last Updated on 17 mai 2024 by admin
Devoir parler alors qu’on rêve de se taire, c’est le petit voyage en absurdie proposé par Quentin Dupieux et ses acteurs, lors de la conférence de presse cannoise.
Le film de Quentin Dupieux, qui a ouvert le Festival de Cannes, est un jeu de mises en abymes qui réfléchit sans penser les questions, un film apparemment taillé sur mesure pour ouvrir un festival – bourré de références, de clins d’œil au milieu, de méta dans tous les sens et de prophéties plus ou moins potaches sur l’avenir du septième art, un film qu’on a sans doute pas vu de la même manière qu’on soit concerné par la chose cannoise, ou confortablement assis dans une salle un peu plus loin des bruits du monde et des rumeurs actuelles.
Quentin Dupieux propose cette fois un commentaire du cinéma dans ce treizième long-métrage.
Une œuvre méta qui parle de cinéma et qui tourne en dérision ce qui le porte, à savoir, un casting prestigieux comptant notamment Lea Seydoux, Vincent Lindon, Louis Garrel et Raphaël Quenard.
Dès les premières minutes, le quatrième mur est aboli, les protagonistes, à la fois acteurs, personnages et spectateurs, nous parlent, ou plutôt, parlent entre eux du regard posé sur eux. Un premier sketch dont la violence surprend, tant les vécus des personnes trans y sont réduits à une blague. De quoi instaurer un premier malaise, reconduit plus tard dans le long-métrage, alors que Willy tente d’embrasser Florence, qui lui assure : “Je pourrais te griller pour ce que tu viens de faire”. On pourrait sourire si cela était vraiment le cas. Plus tôt, David explique à Willy que ses mots “vont [les] faire cancel”. Nous n’avons pas (encore) connaissance de carrières brisées par des propos transphobes. Nous avons en revanche en tête de nombreuses victimes de la transphobie. Réduire de tels vécus à une ligne de dialogue, là est la vraie cancel culture.
Dupieux s’amuse avec ses comédiens, mais aussi de creuser son sujet préféré, à coups de longs travellings en plan-séquence : l’emboîtement du réel et de la fiction, la distorsion d’un univers sans qualités (ici, un restaurant perdu sur une route) qui devient l’estrade d’un théâtre de l’absurde.
Le réalisateur a d’emblée donné le ton : « Je suis là pour être poli. Moins je parle, plus les gens ont envie d’aller voir le film. Donc je vais continuer à me taire. » Suivi dans sa démarche par ses acteurs, Louis Garrel et Vincent Lindon en tête. « J’ai adoré le film, oui. Pourquoi ? J’en sais rien », prévient Vincent Lindon.
« Vous posez des questions de notre monde alors que Quentin Dupieux évolue dans un autre monde », reprend Louis Garrel. « C’est la même question depuis une demi-heure », souffle le premier. « C’est un sacerdoce de répondre à ces questions », répond le second. Une attitude lapidaire qui laisse parfois l’impression que les cinq comédiens du Deuxième Acte ne sont pas tout à fait sortis de leurs personnages aux répliques tranchantes.
Les minutes s’égrènent, les questions s’enchaînent et on compatit avec les journalistes présents qui se prennent vent sur vent. Les derniers sont somptueux : « Elle n’écoute pas la réponse. C’est toujours pareil : on répond à leurs questions et ils ne nous écoutent pas », se lamente Quentin Dupieux. « Un type disait : “Si à 50 ans tu n’as pas cette montre, tu as raté ta vie.” Moi, si avec tout ce que j’ai fait dans ma carrière on me pose encore cette question, j’ai raté ma vie », s’agace Vincent Lindon, dont le personnage revient sans cesse sur son magnifique parcours professionnel.
Devant l’écran j’étais donc perplexe, pas tant gênée par le défaut disons éthique du film – qui en soit ne me dérange pas, je suis plutôt partisane de rire de tout tant que la forme suit, que sur ce que ce choix révèle de la posture du Festival et qu’on peut résumer ainsi : à la fois on a compris que les enjeux en ce moment au ciné, c’était ça, et en même temps, on les évacue par le rire et dans un casting quatre étoiles – un geste débonnaire qui tient à la fois des pieds maladroits dans le plat et d’un évitement spectaculaire.
Il nous est arrivé de sourire devant “Le deuxième acte”, et même de rire, malgré le malaise instauré tout au long du film. Là où certaines blagues de Dupieux nous font grincer des dents, d’autres font mouche – notamment lorsque le cinéaste se permet d’explorer nos propres paradoxes, à travers le personnage de Vincent Lindon, acteur aigri et révolté, qui succombe bien vite aux sirènes d’Hollywood. Dans cette nébuleuse, certains éclats de lumière demeurent – à commencer par Stéphane, le personnage incarné par Manuel Guillot. Figurant au trac intempestif et aux tremblements involontaires, il touche dans son désespoir, presque autant qu’il prête à sourire.
“Le Deuxième Acte” de Quentin Dupieux, présenté hors compétition au Festival de Cannes en 77e édition, il rivalise avec le film “Un p’tit truc en plus” de Artus, qui a causé la surprise en se hissant au top du box-office.
“Le Deuxième Acte” de Quentin Dupieux, présenté hors compétition au Festival de Cannes en 77e édition, il rivalise avec le film “Un p’tit truc en plus” de Artus, qui a causé la surprise en se hissant au top du box-office.
“Le Deuxième Acte” a de grandes chances de remporter le prix de la catégorie film hors compétition lors de la 77e édition du festival.
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